Ce que peut être le témoignage de parents chrétiens

par le Père Roger-Thomas Calmel, O. P.

« Que ferons-nous le dimanche ? » m’ont souvent demandé des parents solidement chrétiens qui, malgré tous leurs efforts, ne pouvaient trouver que de loin en loin la Messe traditionnelle catholique. « Que feront ces parents le dimanche ? » Je me suis souvent redit à moi-même cette question douloureuse. Jamais, malgré la peine et la difficulté, je n’ai pu donner une autre réponse que celle-ci : « Puisque vous voyez que vous avez, vous, à être témoins de la Messe de saint Pie V, vous ne pouvez pas hésiter. Cherchez cette Messe, faudrait-il pour cela se donner bien du mal. Si, malgré tout, vous ne la trouvez pas, priez chez vous, peut-être réunissez-vous autour du père de famille qui fera lecture de l’oraison, de l’épître et de l’évangile ; faites la communion de désir ; récitez ensemble un chapelet, mais n’hésitez pas à vous abstenir des messes nouvelles. Dieu suppléera. » Un point est à bien préciser. Il ne paraît pas indiqué, dans une période où les évêques cherchent à faire entrer dans les mœurs des « célébrations eucharistiques sans prêtre », que les familles se réunissent à plusieurs. En revanche que le père, par exemple, lise les oraisons, l’épître, l’évangile et fasse réciter le chapelet, nous ne voyons pas que cela prête à confusion ni évoque de près ou de loin ces abominables nouvelles « eucharisties sans prêtre ».

Le danger est réel de tomber dans la tiédeur et de céder à la facilité de sorte que l’on ne sanctifiera plus vraiment le dimanche ; et d’autre part c’est une privation cruelle que de passer les dimanches sans messe ; mais Dieu saura préserver les parents de la tiédeur, il bénira leur abstention, si du moins ils ont fait le possible pour avoir la messe catholique traditionnelle pour sanctifier le dimanche. Situation anormale s’il en fût ; situation monstrueuse que, dans des pays qui comptent une immense majorité de catholiques, des familles en soient réduites, malgré tous leurs efforts, à n’avoir que la messe mensuelle ou peut-être moins encore. Cependant c’est par fidélité à la Messe catholique qu’elles endurent cette situation. Par suite Dieu compense. Il compense comme il le fit pour tant de familles restées chrétiennes, durant les bouleversements révolutionnaires, lorsqu’il était devenu aussi difficile que rare d’assister et de communier à la Messe d’un prêtre insermenté.

Il est élémentaire d’inviter les familles qui veulent tenir au milieu de l’apostasie immanente à dire les trois Angelus, à réciter ensemble, du moins selon l’âge des enfants, le chapelet quotidien, à enseigner le catéchisme de saint Pie X, à s’unir spirituellement à la liturgie du temporal et du sanctoral, à s’adonner selon leurs moyens à une étude doctrinale, enfin à ne pas négliger la mortification. Il est élémentaire d’inviter les familles à agir ainsi quand on a saisi la gravité de l’épreuve de l’Église. Du reste l’Église serait-elle moins éprouvée que l’appel de Dieu à tendre à la perfection ne serait ni moins pressant, ni moins universel ; l’Évangile n’a jamais dit que dans les temps tranquilles les fidèles mariés étaient appelés à vivre dans l’imperfection. A toutes les pages, l’Évangile invite toutes les âmes, quelles que soient les circonstances ou l’état de vie, à mettre en pratique l’enseignement de la parabole : vendre tout pour posséder le champ au trésor caché ou pour acheter la perle de grand prix.

Il est manifeste que nos évêques collégialisés ont concerté leur action pour faire cesser partout, s’ils le pouvaient, la Messe romaine traditionnelle. Cette action combinée de nos hiérarques leur est inspirée par Satan qu’ils le sachent ou l’ignorent ou feignent de l’ignorer. Cette action est vouée à l’échec pour la raison obvie que la protestantisation de l’Église est vouée à l’échec. Or si les messes nouvelles avec leurs formulaires équivoques et leur rite de communion de tendance hérétique, si ces messes étaient les seules à être célébrées la chute dans le protestantisme serait bien près d’être consommée. Il n’en sera rien. A supposer même qu’elle doive devenir plus rare la Messe de saint Pie V avec son offertoire, son canon admirable, son rite de communion foncièrement catholique, pour ne rien dire du calendrier antique et non bouleversé, la messe de saint Pie V deviendrait-elle encore plus rare, ne cessera pas pour autant d’être célébrée et célébrée devant une assistance. Il reste que l’heure est très grave. Raison de plus pour les familles chrétiennes de tendre à la ferveur, évitant de se laisser circonvenir par des raisons qui sont loin d’être des vérités absolues. Si on dit par exemple : pas de dimanche sans messe, il faut se souvenir de l’expression bien connue : sauf le cas de force majeure. Or ne pas donner de caution à la protestantisation envahissante est certes un cas de force majeure ou plutôt c’est un témoignage que Dieu nous fait l’honneur de nous demander. On dit encore : vous n’élèverez pas chrétiennement les enfants sans la messe dominicale. On répondra : en cas de force majeure et surtout pour rendre témoignage à la Messe catholique il est très possible de former les enfants à la vie chrétienne sans entendre la messe tous les dimanches, si la Messe de saint Pie V est impossible à trouver. Par ailleurs qui oserait soutenir qu’un enfant sera formé dans la foi s’il assiste à ces messes où le rite de la communion a cessé d’être adorateur, où les marques d’adoration pendant le canon sont réduites à rien, cependant que l’un de ces canons, celui qui est le plus répandu, est aussi privé qu’il soit possible, à moins d’être carrément hérétique, des formules vénérables directement en rapport avec le saint sacrifice ?  —  De toute manière il est capital que les enfants grandissent avec la persuasion que notre époque est une époque de persécution déguisée et perfide et que, au sein de cette persécution, leurs parents restent de fervents catholiques.  —  Lorsque les parents avaient l’âge de leurs enfants le principe « pas de dimanche sans messe » ne soulevait aucune difficulté. La pratique dominicale allait de soi pour une famille chrétienne. Mais depuis cinq ans les choses ont bien changé ; le rite de la messe s’est dégradé affreusement ; il arrive même que des prêtres pieux célèbrent dans un rite équivoque. Les parents ne peuvent plus appliquer sans y regarder de très près le principe dans lequel ils ont grandi. Ils ne doivent pas imposer à leurs enfants une pratique qui a cessé de correspondre à l’état de fait qu’ils avaient connu, eux, pendant vingt ou trente ans ou davantage. Le précepte dominical ne change pas. Loin de nous l’idée d’enseigner que ce commandement de l’Église est supprimé. Nous disons seulement que sa pratique est suspendue chaque fois que cette pratique donnerait une caution à la contre-Eglise. Ce n’est pas la loi de l’Eglise qui change du fait des circonstances, ce sont les manoeuvres de la contre-Eglise qui obligent l’Eglise, selon les circonstances, à suspendre la mise en application de la loi. Les parents doivent donc tirer les conséquences d’un fait nouveau et désolant : nous sommes souvent privés de la Messe catholique traditionnelle. Or ils doivent en tirer les conséquences sans faire de dégât dans l’âme de leurs enfants, en les aidant au contraire à s’affermir dans la foi et la piété. Ils en seront capables si le climat spirituel de la famille est assez fervent, si leur famille se modèle de plus en plus sur l’image de la Sainte Famille. Ils reçoivent assez de grâces pour qu’il en soit ainsi.

Un esprit de foi qui tendra sans cesse à grandir permettra de voir une nette invitation de la part du Seigneur dans ce qui apparaissait d’abord comme un scandale absurde et insurmontable. Le scandale est en effet que les familles chrétiennes soient mises à l’écart, vouées à l’isolement, méprisées par ceux qui devraient être leurs soutiens et leurs pasteurs naturels. Elles sont traitées en effet comme ne faisant plus partie du bercail catholique du seul fait d’être attachées à la Messe de saint Pie V ; évêques et curés les considèrent tranquillement, pour employer le jargon à la mode, comme des folkloriques et des irrécupérables. Ils oublient du reste, ces évêques et ces curés, qu’eux-mêmes, il n’y a pas plus de quinze ans, n’admettaient d’autre rite que celui de saint Pie V ; ils n’auraient pas accepté de faire donner la communion par des laïques ni de se servir d’un canon informe dont la lecture ne dépasse pas une minute ; en tout cas, et pour mettre les choses au pire, s’ils avaient eu le front d’agir ainsi il y a quinze ans seulement, ils n’auraient pu se défaire d’une impression de sacrilège, ils n’auraient pas échappé à un sentiment de remords et de honte. Comment ce qui était une profanation il y a quinze ans serait-il aujourd’hui un rite digne, catholique et sacré ? En tout cas, il est scandaleux que les familles qui demeurent fidèles à la Messe de saint Pie V soient rejetées dans la solitude par tant de prêtres et d’évêques. Et il ne faut rien de moins qu’un accroissement de ferveur spirituelle pour ne pas s’exaspérer ou se briser dans cette situation violente, en subissant cette relégation. Mais la grâce du Christ est assez forte pour donner de persévérer dans le témoignage à rendre, au milieu de circonstances exceptionnelles. La grâce fait que le désir de sanctification se tient à la hauteur de la fermeté dans la résistance. La grâce donne de voir que si Dieu permet un mal aussi grand que celui qui afflige actuellement l’Église c’est en vue du plus grand bien de ceux qui veulent demeurer fidèles. La grâce fait que dans la résistance résolue, qui est nécessaire pour rendre témoignage, la paix intérieure, loin de diminuer, s’approfondit. Dominus regit me et nihil mihi deerit (ps. 22 : Le Seigneur me concilia ; rien ne me fera défaut). Ces directives peuvent s’exprimer en strophes « gnomiques » qui aideront à mieux retenir les voies que doit prendre la ferveur spirituelle en une période où les chrétiens qui veulent rendre témoignage à la Messe catholique traditionnelle risquent d’être plus ou moins souvent privés de Messe. Qu’ils nourrissent leur oraison et leur prière de la prière de l’Église selon les temps liturgiques ; que la conversation intérieure se poursuive dans la lumière des mystères de la foi, conformément, du reste, à la pratique du Rosaire ; que le témoignage soit rendu par amour.

Votre prière qui s’enlise
Dans votre moi, dans mille riens,
Par la liturgie de l’Église
Prendra son envol souverain.
Ce sera belle délivrance :
Tous vos ennuis, tous vos effrois
Graviteront dans l’attirance
Des grands mystères de la foi.

Par amour rendons témoignage
Au dogme et au culte établis.
Nous aurons assez de courage :
Le Dieu bien-aimé sera notre appui.
Que notre coeur de puiser ne se lasse
Aux trésors divins que nous défendons
Les eaux pures et vives de la grâce
Durant le combat nous rafraîchiront.

Sans nul appui bien appuyés
Allons nous consumant d’amour.
La foi dont nos coeurs sont illuminés
Fait notre nuit plus belle que le jour.


Source:
Père Roger-Thomas Calmel O.P. : Ce que peut être le témoignage de parents chrétiens. Dans: Itinéraires n° 192, Avril 1975. Pages 2-7.