Les RAQ (rarely asked questions) que nous présentons ici peuvent donner des idées concrètes et innovantes comment servir la noble cause de l’enseignement catholique tout en étant enraciné dans l’héritage pédagogique de l’Église souvent méconnu.
1) Quelle est la tâche plus importante d’un directeur d’école ?
La clé centrale pour la réussite d’une école, c’est la capacité du directeur de s’entourer de maîtres et éducateurs non seulement bien préparés sur le plan professionnel, mais surtout vertueux ainsi que résolument décidés à tendre vers la sainteté et à entraîner sur ce chemin les enfants qui leur sont confiés. Le recrutement et la formation de bons collaborateurs sont donc prioritaires par rapport au recrutement d’élèves, au développement structurel et à la gestion matérielle d’une école.
2) L’Église a-t-elle une préférence quant au profil des enseignants et éducateurs ?
Bien qu’elle n’ait jamais été hostile à la présence de laïcs non consacrés dans les écoles, l’Église a toujours eu une préférence marquée pour les enseignants religieux [1] ; tout d’abord parce que par les vœux de religion ou leur oblation à Dieu, ils imitent davantage Notre Seigneur Jésus-Christ, chaste [2], pauvre et obéissant à la volonté du Père jusqu’à la mort sur la Croix. Mais aussi sur le plan pratique, leur renoncement au mariage et à un salaire présente de nombreux avantages : ils sont plus disponibles, coûtent moins chers, sont plus souvent à la chapelle et n’ont pas de soucis liés à une charge familiale.
3) Serait-il raisonnable si les congrégations attachées à la Foi et à la liturgie catholique traditionnelle se désintéressaient du recrutement actif d’enseignants consacrés ?
Non. Cela serait une erreur de recruter seulement des enseignants salariés. Il faut chercher et former en même temps des personnes dignes et compétentes qui sont disposées à vivre en communauté et à suivre un règlement qui prévoit l’enseignement « gratis et amore Dei ».
4) Le nombre de rentrées chez les frères de la FSSPX est relativement faible. Peut-on en déduire qu’il y aurait encore moins de vocations dans une congrégation masculine vouée exclusivement à l’enseignement ?
Heureusement, il n’est pas sûr du tout que le recrutement d’enseignants oblats (ou religieux) soit plus ardu que, par exemple, la recherche des vocations pour les frères de la FSSPX. Voilà quelques indices :
- Les dominicaines enseignantes du Saint Nom de Jésus ont beaucoup plus d’entrées que les sœurs ou les oblates de la Fraternité Saint-Pie-X. Cela est peut-être dû au fait que les dominicaines ont un champ d’apostolat très précis et circonscrit, à savoir celui de l’école, ce qui leur donne une identité plus claire aux yeux de beaucoup de fidèles.
- Jusqu’au Concile Vatican II, les congrégations enseignantes étaient parmi les ordres qui recrutaient le mieux (e.g. FEC, FMS, SDB, FMA, OSU etc). [3]
En Hongrie, en 1946, 53% des 9525 religieuses présentes dans le pays s’adonnaient à l’enseignement ; ceci signifie que la vie religieuse enseignante était très attractive parmi les différents charismes.
5) Qui pourrait se sentir appelé à une vie comme frère ou oblat enseignant ?
Il existe sans aucun doute dans la Tradition des jeunes catholiques avec un caractère équilibré qui ne se sentent pas appelés à faire cinq ans d’études de philosophie ou de théologie, à confesser, à prêcher devant des centaines de fidèles, à gérer une paroisse ou à toucher le Corps de Notre-Seigneur avec leurs propres mains, mais qui seraient tout à fait capables et disposés à se sacrifier pour éduquer chrétiennement les futures générations.
6) Serait-il indispensable que les membres de nouvelles communautés enseignantes fassent les vœux de religion ?
Non. L’essentiel, c’est l’esprit de Foi, une vie célibataire et l’engagement (perpétuel ou temporaire [4]) à suivre une règle de vie communautaire. En effet, les piae uniones ou les sociétés de vie apostolique peuvent réunir non seulement des clercs, mais aussi des laïcs consacrés. [5]
Il serait souhaitable que ceux qui désirent consacrer leur vie à Dieu à travers le service à la jeunesse puissent toutefois choisir entre deux types de règles : une qui prévoit les vœux de religion, et une autre qui tend simplement vers ces vertus sans pour autant lier les membres par des vœux (et donnant ainsi de la souplesse quant à l’application de l’idéal de la pauvreté). [6]
7) Une congrégation peut-elle former des religieux pour d’autres communautés ?
Oui. L’abbé Jean-Marie de la Mennais, fondateur des Frères de l’Instruction Chrétienne de Ploërmel, a d’abord évité d’envoyer ses frères enseigner en dehors de la Bretagne car c’était contraire à la finalité régionale de sa communauté ; mais il accepta de former dans son noviciat des postulants frères pour d’autres congrégations [7] : « Envoyez-moi quelques sujets d’élite, je les formerai à Ploërmel, et de retour chez vous ils seront les prémices d’une œuvre identique nouvelle. » [8]
De façon similaire, il serait peut-être indiqué de permettre aux hommes disposés à s’engager selon un règlement de vie enseignante de se former dans un noviciat ou une maison de la Tradition, et de leur donner, en plus du socle commun de spiritualité et de doctrine, quelques occasions de formation propre à leur vocation enseignante.
8) Quel est un point commun de nombreux fondateurs de congrégations enseignantes masculines ?
La très grande majorité des congrégations enseignantes masculines furent fondées par des prêtres. Font exception seulement Saint Jérôme Emilien, Gabriel Taborin, Edmond Rice, Théodore Ryken et Johannes Höver qui étaient des laïcs au moment de la fondation.
On doit donc prier et espérer qu’un prêtre de la Tradition prenne le courage à deux mains ou reçoive la charge par ses supérieurs pour rassembler ceux qui désirent vivre en communauté et enseigner « gratis et amore Dei ».
9) Un prêtre doit-il sortir de sa communauté d’origine pour fonder une nouvelle congrégation ?
Non. Le polonais Honorat de Biała, un Père capucin, a fondé 26 congrégations sans jamais quitter son ordre. Idem pour de nombreux autres fondateurs et fondatrices.
10) Tous les fondateurs ont-ils eu du succès comme Saint Jean Bosco ?
Non. Au contraire, certains initiateurs d’une communauté enseignante ont connu une vie assez tragique. Le père Coindre par exemple, fondateurs des Frères du Sacré Cœur, finit ses jours dans une clinique psychiatrique en sautant par sa fenêtre.
Mgr Giuseppe Cognata SDB, fondateur des oblates salésiennes du Sacré Cœur de Jésus, fut accusé d’agression sexuelle sur trois religieuses et par la suite destitué en 1940 comme évêque diocésain de Bova (Calabrie). C’est seulement après une vingtaine d’années qu’il fut réhabilité, car il s’agissait vraisemblablement de calomnies et d’une erreur judiciaire.
Dans d’autres cas, les fondateurs furent écartés par le Saint-Siège. L’exemple le plus éclatant est Saint Joseph de Calasanz, aujourd’hui patron des écoles populaires.
11) Des veufs ou des veuves peuvent-ils devenir fondateurs d’une nouvelle congrégation ?
Absolument. Au 19e siècle, ce n’était d’ailleurs pas si rare que cela. Edmond Rice (Presentation Brothers) et Anna Rosa Gattorno (Figlie di Sant’Anna), par exemple, ont eu des enfants avant de perdre leur conjoint et de prononcer les vœux de religion. Il y a même une congrégation fondée par une veuve avec sa fille (les sœurs résurrectionnistes, fondées par Celina et Jadwiga Chludzińska Borzęcka).
12) Une femme peut-elle fonder une congrégation enseignante après un mariage nul ou une séparation de corps ?
Les sentiers de la Providence ne sont pas les nôtres et peuvent être très surprenants.
Maria Teresa Spinelli, née au plein cœur de Rome, fut séparée par les autorités ecclésiastiques de son mari violent. Quelques années plus tard, elle devint la fondatrice de la première école féminine à Frosinone ainsi que d’une congrégation enseignante augustinienne qui existe encore de nos jours dans une dizaine de pays.
Enriqueta Teresa Rodon i Asencio fut mariée de force à l’âge de 12 ans avec l’amant de sa mère. Une fois accueillie par des religieuses, son mariage fut annulé. Plus tard, elle fonda une congrégation religieuse franciscaine, qui s’occupe de filles délaissées.
13) Un simple laïc (marié ou pas) peut-il fonder une congrégation religieuse enseignante sans en être membre ?
C’est assez rare, mais c’est tout à fait possible. Ce fut le cas de Edmund Bojanowski [9] et de Teresa Fardella de Blasi [10], ainsi que de Tancredi et Julie Falletti di Barolo. Ces derniers furent tous les deux issus d’une famille noble et riche et ils se dévouèrent d’une façon admirable pour les pauvres et les délaissés de la ville de Turin. Pour perpétuer leur apostolat, mais sans devenir des religieux, ils fondèrent deux congrégations de sœurs qui existent encore aujourd’hui.
14) Toutes les congrégations enseignantes ont-elles eu rapidement une reconnaissance canonique ?
Non. Les Pieuses Maîtresses Venerini ont observé une règle de vie communautaire pendant plus de 140 ans sans jamais demander ou obtenir une reconnaissance canonique. Ce qui peut surprendre, c’est qu’elles tenaient leurs écoles non pas dans des régions périphériques loin de Rome, mais dans les États-Pontificaux, au cœur de la Chrétienté.
15) Les congrégations enseignantes ont-elles eu tout de suite des maisons indépendantes ?
Cela n’a pas toujours été le cas. L’abbé Jean-Marie de La Mennais faisait accueillir ses Frères de l’Instruction Chrétienne (FICP) dans les presbytères. Bien que dépendant juridiquement de leur supérieur général, ces frères vivaient généralement chez le curé de la paroisse.
L’expérience des FICP pourrait être intéressante de nos jours : elle montre comment on peut insérer des enseignants consacrés au sein d’une paroisse ou d’un prieuré.
16) Comment les religieux assuraient-ils leur subsistance dans les débuts de la vie communautaire ?
Généralement, les congrégations enseignantes débutaient dans une très grande pauvreté et insécurité matérielle. Souvent, ces religieux pouvaient compter sur le soutien de bienfaiteurs ; quelquefois, c’étaient les fondateurs qui investissaient tout leur patrimoine personnel dans leur œuvre. Dans d’autres cas, les religieux travaillaient aussi en dehors de l’école. Les Frères Maristes des Écoles (FMS) en sont un exemple : au début, ils gagnèrent leur pain quotidien en fabriquant des clous à partir de barres de fer. Plus tard, ils produisirent des liqueurs (Arquebuse, Hermite) et du biphosphate de chaux.[11]
17) Les congrégations enseignantes masculines ont-elles toujours eu pour membres des prêtres ?
Pas toujours. Saint-Jean Baptiste de La Salle fut le premier, vers 1680, à fonder une communauté masculine exclusivement laïque dont les membres prononcent des vœux simples de religion : les Frères des Écoles Chrétiennes (FEC / FSC).
Cette forme de congrégation connut un grand essor dans la première moitié du 19e siècle : Entre 1800 et 1850, plus de deux tiers des nouvelles congrégations enseignantes masculines ne prévoyait pas le sacerdoce pour leurs membres.
Ces instituts de laïcs sont d’ailleurs prévus par le droit canonique (can. 588 § 3). Les plus connus sont les FEC, les Frères Maristes, les Frères du Sacré-Cœurs, les Frères de Saint-Gabriel et les Frères de Ploërmel.
18) La présence de deux congrégations de dominicaines enseignantes dans la Tradition est-elle suffisante pour répondre à toutes les exigences de l’éducation féminine ?
Bien que les Dominicaines tertiaires du Saint-Nom de Jésus soient une bénédiction énorme pour la Tradition, il serait souhaitable qu’il y ait une variété plus grande dans l’offre vocationnel (soit du point de vue de la spiritualité religieuse, soit par rapport à l’apostolat concret). En plus, il manquent des religieuses spécialistes pour le travail avec les enfants provenant de situations difficiles, pour les enfants handicapés, pour la formation professionnelle et pour les écoles ménagères.
Il faudrait donc tendre à rétablir au moins partiellement l’ancienne richesse de la vie religieuse enseignante préconciliaire.
19) Faut-il attendre passivement que des vocations enseignantes se présentent ?
Non. La plupart des congrégations sont l’initiative d’une personne qui se trouvait face à un besoin éducatif concret. Les fondateurs ont été touchés par la misère des enfants ou les nécessités des familles et par conséquent, il se sont mis à la recherche de collaborateurs pour aider de façon efficace.
Certaines communautés ont nommé par la suite des frères recruteurs dont la tâche était la recherche de postulants dans les paroisses. [12]
20) Aujourd’hui, pourrait-on simplement reprendre une règle préconciliaire d’une congrégation enseignante et l’appliquer telle quelle ?
Il semble impossible ou imprudent de faire revivre des règles ou constitutions préconciliaires telles quelles de nos jours, soit parce qu’elles sont trop détaillées et faites pour des congrégations avec des centaines ou des milliers de membres [13], soit parce qu’elles ne tiennent pas assez compte de la situation de crise dans l’Église. [14]
En outre, certaines normes ne sont plus du tout adaptées à la situation actuelle, par exemple un dortoir unique pour les enseignants, l’interdiction d’être chantre pour les offices, des jours définis pour communier, la prohibition des contacts avec la famille du sang, l’interdiction du latin, la gratuité pour les élèves, certaines règles exagérées pour la tenue corporelle [15], le jeudi comme jour de congé dans la semaine.
21) Quels pourraient être les premières étapes pour susciter de nouvelles familles religieuses vouées à l’apostolat de l’instruction chrétienne ?
Les premiers pas pourraient être les suivants :
- Prier et faire prier nos familles pour obtenir des vocations enseignantes ;
- travailler pour le retour à la Tradition des religieux restés dans les congrégations modernistes ;
- faire connaître davantage les stages CRUX & CRETA où les jeunes peuvent expérimenter temporairement s’ils pourraient être appelés à une vie enseignante consacrée.
[1] « L’Église n’a jamais eu de prévention contre les maîtres laïcs, (mais) elle a toujours montré une préférence marquée pour les consacrés. » (Jean de Viguerie, Église et Éducation, p. 97).
[2] Pie XII : Encyclique Sacra Virginitas, § 18 : « Si les prêtres, si les religieux, si les religieuses, si enfin tous ceux qui d’une manière ou d’une autre, se sont voués au service de Dieu, observent la chasteté parfaite, c’est en définitive parce que leur Maître divin fut vierge jusqu’à la fin de sa vie. »
[3] En témoigne la maison généralice des Frères des Écoles Chrétiennes à Rome qui a la plus grande superficie de toutes les maisons généralices présentes dans la capitale de la Chrétienté.
[4] Dans quelques congrégations, les vœux sont annuels et non pas perpétuels: C’est par exemple le cas des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul ; chez elles, ces vœux exclusivement temporaires sont une tradition pluriséculaire.
[5] Quelques exemples pour des congrégations sans les trois vœux de religion:
- Maestre Pie Venerini : depuis 1685 jusqu’à leur transformation en congrégation religieuse en 1932.
- Dominicaines de Pontcallec : les Mères prononcent seulement le vœux de chasteté virginale, mais une double promesse de pauvreté et d’obéissance.
- Frères de l’Instruction Chrétienne de Ploërmel : au début, le seul vœu requis était l’obéissance. En 1876 seulement fut autorisée l’émission privée des trois vœux de religion (cf. Cueff / Morvan p. 33).
- Dames de Saint-Maur : elles ont introduit la profession des trois vœux seulement en 1887 (plus de 200 ans après leur fondation).
- Les sœurs oblates de la Fraternité Saint-Pie-Xne sont pas non plus des religieuses au sens strict.
[6] cf l’idée de Mgr Lefebvre d’instituer une branche supplémentaire sans vœux chez les Spiritains (Messieurs du Saint-Esprit). Dans: Bernard Tissier de Mallerais. Marcel Lefebvre. Ein Leben für die Kirche. Bobingen 2022, p. 121.
[7] cf. Philippe Friot : Spiritualité d’un homme d’action, p. 67.
[8] Jean Prévoteau: Les Frères de Tinchebray. 2007, pag. 4.
[9] Edmund Bojanowski (1814-1871), fondateur des Petites servantes de l’Immaculée Conception.
[10] Teresa Fardella de Blasi (1867-1957), femme d’un officier italien, mère de 2 enfants, elle s’occupe des enfants défavorisés et fonde les Pauvres filles de la Vierge couronnée.
[11] Heinrich Schamberger: Arquebuse, Hermite et autres produits maristes de l‘époque du fondateur. Mindelheim 2017. (https://www.champagnat.org/shared/bau/200JahreArquebuse_FR.pdf)
[12] André Lanfrey FMS: Histoire de l’Institut des Frères Maristes. Rome 2016. Tome II, pag. 247 sqq.
https://www.champagnat.org/e_maristas/Studia/03_History2_FR.pdf
[13] Constat confirmé au moins pour les FMS, FSC et SC.
[14] p.ex. l’obéissance aveugle ou la soumission inconditionnée au Saint-Père demandées dans certaines règles.
[15] Règles des FEC, chapitre 23 (p.ex. : Comment tenir le front, le nez et les lèvres).